AMEDEE SELON NINI

Publié le par BBJane


Hier soir, lors d'un dîner de famille, je me suis fait enguirlander par ma nièce, Nini Socquettes (10 ans... j'insiste !...), qui me reproche de négliger mes blogs, me qualifie de fainéant et de "pilosidextre" (c'est son mot à elle pour désigner quelqu'un qui a un poil dans la main), et d'autres noms d'oiseaux. J'ai eu beau lui expliquer que j'ai trop de travail en ce moment pour me répandre sur le net, elle n'a rien voulu entendre. De guerre lasse : "Tu n'as qu'à les remplir, toi, mes blogs !", lui ai-je lancé.
Funeste suggestion !
Elle m'a aussitôt prise au mot...
Voici son premier post, qu'elle a souhaité consacrer à l'une de nos récentes escapades théâtrales (je la sors beaucoup ces derniers temps, sous la contrainte de sa mère, qui me menace ponctuellement de ne plus me fournir en DVD de Liberace si je ne la délivre pas de sa progéniture une ou deux fois par semaine...)
Soyez indulgent(e)s, mes chéries...



AMEDEE (ou comment s'y enquiquiner)
par Nini SOCQUETTES (8 ans, mais surdouée)


Mon auto-portrait


Voilà la pièce que je vais vous en parler :




C'est l'histoire d'un cadavre malade. Il est atteint de "progression géométrique". Ca veut dire qu'il grandit, et grandit, et grandit, jusqu'à devenir comme King Kong. Et alors, il...
(Ca va pas... J'efface tout...)
C'est l'histoire d'un vieux écrivain qui n'arrive plus à écrire depuis 15 ans. Et pourquoi que ça fait 15 ans qu'il arrive plus à écrire ? Parce que, depuis 15 ans, il cache un cadavre malade dans sa chambre, un mort qui souffre de la "progression géométrique". Ca veut dire qu'il grandit, et grandit, et grandit, jusqu'à devenir comme...
(Non... Ca va toujours pas... J'efface encore tout...)
C'est l'histoire d'une vieille femme qui est mariée à un vieux écrivain qui n'arrive plus à écrire depuis 15 ans parce qu'il a une dépouille funèbre dans leur chambre qui grandit sans relâchement jusqu'à devenir comme King Kong et à démolir toute la foutue baraque à force de colossalité.
Dans la maison où c'est qu'ils vivent (le vieux écrivain, sa vieille femme, et le vieux cadavre -- qui vit plus, lui, en fait...), il y a des champignons qui poussent ininterruptionnellement et avec abondacité.
La femme en a ras-les-tétines que le cadavre s'amplifie, alors elle demande à son vieux mari de bien vouloir le fractionner en morceaux et de l'éparpiller aux 36 coins de la ville où c'est qu'ils vivent.
Avant ça, ils sont dérangés par un facteur qui vient leur apporter une lettre qu'ils en veulent pas.
A la fin, quand le vieux écrivain a bien dispatché le cadavre dans la ville, il quitte la Terre et s'envole pour un monde moins pire en criant au revoir à sa vieille femme.



Les deux vieux en train de s'entre-rouspéter (surtout lui)


C'est un certain IONESCO qui a écrit la pièce, il y a longtemps.
Moi et Tata, on l'a vue au théâtre Silvia MONFORT, dans la mise en scène d'un certain Roger PLANCHON, qui joue aussi le vieux rôle de l'écrivain (Amédée, qu'il se prénomme.) (Ca explique le titre de la pièce.)
Il paraît que Roger PLANCHON, c'est un grand nom du monde des planches (c'est Tata qui me l'a tuyauté dans le conduit auriculaire.) Un nom aussi grand que le cadavre de la pièce.
N'empêche, je me demande de quelles planches il est un grand nom, à moins que ça soyent celles d'un cercueil. Parce que sa mise en scène, elle est ennuyante à crever.
Et pourtant, il fait de gros efforts, Monsieur Roger PLANCHON, pour que le spectateur s'enquiquine pas à son spectracle. Par exemple, il met beaucoup de belle musique un peu partout. Ca commence avec Luis MARIANO qui chante C'est magnifique à la radio quand le rideau se lève, et puis ça continue avec Charles TRAÎNEE qui chante ses vieux tubes à la mode.
Il y a plein de chansons dans la pièce, pour meubler nos oreilles et occuper le temps. Et des fois, les deux vieux dansent dessus. On appelle ça de la chorégraphie, sauf qu'ils sont trop arthriturés pour danser vraiment. Disons plutôt qu'ils bougent... Ils remuent... Un pied à droite, un pied à gauche... Ca prouve qu'ils sont moins décédés que le cadavre dans leur chambre. Ca fout un peu d'animation, et ça fait bien se marrer le gros du public (il y en avait beaucoup, des gros, dans le public, alors ça rigolait pas mal...)
Il y a aussi beaucoup de scènes qui se déroulent pas sur la scène (Merde !... J'ai perpétré une répétition !...)
Il y a aussi, écrivais-je, beaucoup de scènes qui se déroulent pas sur les planches, mais sont projetées sur des écrans, pareil que comme au cinéma. Par exemple : quand Amédée découpe le cadavre avec sa tronçonneuse.
Tata dit que c'est un procédé "dans le vent", au théâtre -- un procédé "qui se la pète", comme tout ce qui vente. Sauf que, comme tout ce qui pète, ça pue, et que si le théâtre se met à singer le cinoche, il ferait mieux d'abandonner les planches pour n'être plus qu'un écran.



Les deux vieux en train de s'entre-rouspéter
(C'est pas la même photo que celle d'avant, je signale.
La preuve : on voit des grandes pointures, à droite...)


Il y a aussi, à un moment donné, un type qui se déguise en femme. C'est l'acteur qui joue le facteur et les petits rôles secondaires. On sait pas trop pourquoi il s'habille en nana, mais ça fait encore rigoler les gros du public, qui se croivent dans La Cage aux folles, et qui aiment ça. Tata dit que ça n'a foutrement rien à voir avec IONESCO, mais faut dire qu'elle est jamais contente, Tata... Ca m'a fait rigoler aussi, je l'avoue sans rougissement intempestif. C'était toujours ça de gagné sur l'emmerdement.

Moi, avant d'aller voir la pièce, je croyais que IONESCO, c'était une association pour interdire la faim dans le monde et qu'on arrête de se foutre sur la gueule et de torturer des malheureux qui ont rien demandé. Faut dire que je suis pas très cultivée ("Autant qu'un champ de navets", qu'elle dit Tata).
Maintenant, je sais que IONESCO, c'est le malheureux qu'on torture. Et que Monsieur PLANCHON, c'est le bourreau. Comme tous les tortureurs, il doit être bourré de bonnes intentions. Le problème, c'est qu'on les voit pas.

Tata était toute triste quand on a quitté le théâtre. Elle a dit : "Merde !... Pauvre Eugène !..."
Je sais pas de qui elle causait. Y a pas le reflet de l'ombre d'un Eugène dans la pièce.
Elle a dit aussi : "Pourtant, je l'aimais bien, Planchon...", et elle a poussé un soupir à écailler les oeufs.

Sur le chemin de la sortie du Théâtre Silvia Montort (entre parenthèses : un raide chemin, à se casser la gueule dessus si jamais ça verglasse...), Tata a quand même rigolé en entendant une vieille bonne femme dire à sa copine : "Je suis déçue. Je comprends pas. C'est pourtant une grande artiste, Silvia Monfort !..."
Faut dire que la Silvia, elle est défuntée depuis de nombreuses lunes, et qu'elle peut pas savoir ce qui se passe dans son théâtre éponymystique...
La pauvre !... Si elle savait, elle serait fichue de grandir, et grandir, et grandir, jusqu'à devenir comme Queen Kong, et de foutre en l'air la baraque...



Silvia Monfort, de son vivant

Silvia Monfort, de sa mort

Voilà. J'ai fini ma chronique.
J'espère qu'elle vous aura bouleversé, et que vous l'applaudirez avec acharnement. Comme ça, Tata me laissera en faire d'autres sur son blogue à la con.
Je vous embrasse avec affectuosité.
Nini.



Mon auto-portrait par Picasso


P.S. : J'ai réussi à trouver l'adresse mail de Monsieur Roger PLANCHON. Je crois que je vais lui envoyer mon article. Il sera content de voir qu'on parle de lui. Faut toujours rassurer les artistes, c'est Tata qui me le dit souvent...


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P
chère Nini, je ne connais pas cette pièce de Ionesco (bien que le coup du cadavre kongesque soit tout simplement génial), et encore moins l'adaptation de Planchon dont au sujet de laquelle tu nous causes...<br /> Laisse-moi seulement te dire que tu as un style d'écriture absolument délicieux, et que tu m'as bien éclaté avec ta chronique pleine de verve et de vannes - j'ai rarement vu un attentat contre la syntaxe aussi génialement réussi! <br /> Bref: "LOL", comme y disent les Djeunz!
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D
J'ai peur que ma nièce soit aussi une Nini Socquettes en devenir. Mais elle n'aura jamais mes codes, même sous la torture ;))<br /> Enfin, ceci dit, chère Nini, bravo pour ce billet plein de fraîcheur impertinente ; le blogue de Tata en est tout rouge de bonheur :p
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L
Fifi Brin d'acier, le loup, Pépin la Bulle, Mère-grand, Watoo-Watoo, le ténor imberbe, le rhinocéros et moi, on passait par là et l'île lettrée de Nini nous a semblé un lieu de villégiature assez hilarant pour y planter une tente. On s'installe ici en vacances, nous ! C'est mieux qu'au théâtre même si ça y ressemble beaucoup. On est en plein conte de faits ici, des faits divers sous le couvert littéraire.
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Y
Chère BB, si vous ne parvenez plus à maitriser les sautes d'humeur comportementales de NINI, j'ai un ami proche qui s'appelle HARRY POWELL qui prétend pouvoir se charger de la remettre dans le droit chemin...<br /> Sinon, contre les socquettes blanches, les chaussettes noires, ça marche aussi...<br /> Bien à vous...<br /> EDDY MITCHUM<br /> Bien a
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C
NI-NI PRE-SI-DENTE !!!!
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